“Peut-être faut-il partir avec quelques regrets pour mieux se souvenir.”
Bernard Moitessier, Cap Horn à la voile, 1967
Si vous n’avez qu’une minute :
De quoi on parle : de navigation. Ou pas ?
La reco du jour : Cap Horn à la voile par Bernard Moitessier
Le son du jour : Ose de Yannick Noah
Et comme d’habitude le lien vers l’épisode du jour peut être retrouvé ici.
Si vous avez 5 minutes :
Ça se passe juste en-dessous ! Bonne lecture !
J’ai rencontré Marion en 2002, sur les bancs du lycée Thiers de Marseille. Nous avons eu des vies très différentes toutes les deux depuis, sans perdre le contact pour autant, et j’ai suivi avec beaucoup d’autres la traversée de l’Atlantique qu’elle a effectuée avec son père - mais pas que! - à bord du Zen en été 2024.
Cet été 2024, au milieu de l’énorme pile de bouquins que j’ai consommée, j’avais glissé deux récits de voyage de navigateurs : celui de Bernard Moitessier (Cap Horn à la voile) puis celui beaucoup moins connu de Françoise Moitessier de Cazalet (60000 milles à la voile). J’ai vécu avec eux par procuration des traversées en bateau palpitantes ou remplies d’anecdotes de débrouille à coup de “bassine de cuisine transformée en poste de navigation” ou autres batifolages avec des animaux dans les Galapagos sauvages.
C’est la démarche de Bernard Moitessier au moment du premier Vendée Globe qui m’avait interrogée (pour ceux qui ne savent pas, il a abandonné la course alors qu’il était seul en tête, préférant retrouver des amis sur Tahiti). Son choix d’abandon d’une course gagnante faisait étrangement écho à ma situation professionnelle, et j’ai voulu en savoir plus.
Mais cela n’explique pas forcément pourquoi j’ai adoré son livre - qui ne parle même pas de Vendée Globe - , ni pourquoi j’ai voulu lire celui de sa femme dans la foulée (au point de chercher sur tout l’Internet la version la moins chère possible de son livre introuvable en bibliothèque).
Un matin, j’ai compris pourquoi j’avais autant besoin et envie de lire ces histoires de voile en ce moment.
Une collègue venait de me raconter que tout départ vers une nouvelle vie ressemblait à un saut en parachute : les premières secondes avant que le parachute ne s’ouvre sont de la chute libre, intenses et incertaines. Mais sauter dans le vide depuis un avion, ça n’a jamais vraiment été mon truc.
Alors que la mer, ça me parlait plus.
La mer, qu’on voit danser
J’ai la chance d’aller au bord de la mer tous les étés quasiment depuis la naissance de ma fille, retournant religieusement à un endroit où mes parents m’amenaient quand j’étais petite. Depuis toujours, la mer porte une symbolique particulière chez moi : c’est mon endroit ressource, c’est un océan (haha) de stimulations sensorielles. Cet été encore, j’ai réussi à y faire des exploits sportifs1 dont je me croyais incapable (mon père m’ayant même déconseillé deux semaines plus tôt de tenter l’un deux).
C’est toujours à cet endroit qu’un 14 juillet, alors que je suis nonchalamment allongée sur la plage, j’entendrai derrière moi la voix de Marion qui parle à ses proches. Hasard de la vie. On s’y retrouvera comme si on s’était quittées la veille, et on y passera une soirée qui restera dans les annales et que je n’ai jamais oubliée.
Alors, quand un matin de septembre, j’ai senti un malaise étrange à l’idée de laisser derrière moi un emploi salarié stable, en CDI, où j’étais entourée de collègues bienveillants et de projets stimulants, j’ai essayé de mettre des mots sur ce sentiment, et je me suis spontanément tournée vers les livres qui avaient donné de la couleur à mon été.
Les récits de voyage des Moitessier ont résonné : leur capacité à tout abandonner derrière eux (en gardant un lien épistolaire avec la terre, de port en port), à survivre pendant des mois avec simplement quelques basiques préparés à l’avance, et leur capacité à vivre le voyage (et vivre DU voyage), m’ont tout particulièrement parlé.
Lever l’ancre
Dans le livre de Françoise, elle explique à quel point il a été difficile pour elle de quitter la Rochelle pour Casablanca au moment du premier départ en mer en solo avec son voilier Croc-Blanc. Elle raconte que ses amis l’ont presque “foutue dehors à coup de pieds aux fesses” pour qu’elle démarre son voyage.
C’est peut-être ça qui m’a fait comprendre ce qui se passait dans ma tête: la réticence de Françoise à lever l’ancre. Un emploi salarié stable, c’est comme une ancre. Ça accroche à un endroit précis - de préférence un endroit qui nous convienne -, ça stabilise le bateau en cas de coup de vent, ça peut même sauver la vie si jamais on est en train de s’approcher un peu trop près de récifs à cause du courant. Mais quand on est à l’ancre, on ne peut pas naviguer.
Et ce malaise que je ressentais, c’était cette peur de lever l’ancre et de me soumettre aux incertitudes de la mer et la météo.
Je comprends alors pourquoi Françoise a eu autant de mal à partir, alors qu’elle était (presque) prête. D’ailleurs, est-on jamais complètement prêt? Philippe, le papa de Marion, en parle un peu dans l’épisode.
Naviguer vers un objectif incertain
De mon côté, c’est presque pire : je n’ai jamais vu “Casablanca”2, je n’ai pas la certitude que la destination existe ni même si mon bateau pourra y survivre. C’est un peu comme si je levais l’ancre sans être sûre du port que je souhaite atteindre, alors même que je sais qu’une traversée qui n’a pas été préparée avant risque d’être beaucoup plus compliquée.
Les récits de voyage des Moitessier ne nous épargnent pas les difficultés : avaries techniques, énormes tempêtes plus ou moins annoncées, dangers de mort, problèmes d’argent…leur route est loin d’être sereine et calme. La fin du livre de Françoise est d’ailleurs terrible : bateau abandonné, possessions volées, drame personnel…j’en suis sortie secouée.
Et pourtant, j’avais hâte. J’avais hâte de sentir le voyage, de comprendre ce qu’il allait m’apporter, j’avais hâte de vivre différemment, tout simplement.
Je vais peut-être faire du cabotage plutôt qu’une traversée de l’Atlantique. Je vais sûrement vivre des moments où je me demanderai pourquoi j’ai quitté le confort du port. Je n’ai aucune idée de la hauteur des vagues, ni de la capacité de mon bateau à tenir les fortes houles ou de la mienne à réparer un trou dans la coque. Mais j’ai l’espoir des moments de contemplation de la mer tranquille au pied du mat, comme Marion et son papa.
L’espoir aussi, des soirées magiques dans un port étranger entourée de gens que j’aurai rencontré sur la route, sur le pont de nos bateaux respectifs éclairé de lampes tempêtes, une guitare à la main3.
J’en ai d’ailleurs déjà vécu une, entourée d’inconnus au dernier étage d’un immeuble boulevard de Strasbourg à Paris…mais ça, on en reparlera à l’épisode 4.
Bref, avec ce deuxième épisode, il est temps de larguer les amarres, et de partir naviguer sur la grande mer.
Sans surprise, je vous recommande donc aujourd’hui ce livre de Bernard Moitessier : “Cap Horn à la voile”. Bernard commence en jeune naufragé avec seulement quelques dollars en poche et les habits qu’il a sur son dos, et finit en ayant effectué la première traversée à la voile sans escale d’un cap extrêmement craint par les navigateurs depuis toujours. C’est parfaitement dépaysant tout en restant ancré dans les réalités, et si vous aimez la voile, vous trouverez quelques détails techniques en plus des anecdotes de voyage. Ça accompagne parfaitement la traversée de Marion et Philippe.
Comme la dernière fois, j’avais prévu un autre morceau pour accompagner cet épisode. Ici aussi, la musique est finalement venue à moi, amenée directement par les interviewés (si vous avez écouté l’interview jusqu’au bout, vous savez déjà!).
Si vous avez peur de larguer les amarres et de quitter le confort du port, au risque de passer à côté d’une belle traversée pleine de surprises, Marion et Philippe ont un petit message pour vous, qui accompagne parfaitement la métaphore !
Merci d’avoir lu jusqu’ici !
Je suis toujours preneuse de vos retours, recommandations, et suggestions pour les prochains épisodes ! Cliquez juste en dessous pour ça :)
A bientôt,
Amandine
PS : merci à ma super relectrice de m’avoir évité fautes d’orthographes ou autres erreurs d’inattention :)
Je tiens à préciser ici qu’étant incapable de nager plus de 5min d’affilée il y a 6 ans, la notion d’exploit sportif est ici toute relative…
Je ne parle pas du film : lui, je l’ai vu et je vous le recommande !
Il faut toujours avoir une guitare à bord de son bateau.
Je viens d'écouter ce nouvel épisode... Tellement émouvant ! Bravo pour ton travail, Amandine, et merci à Marion et Philippe pour la générosité de leur partage.
Une belle histoire très joliment mise en son. Du positif et du "feel good" mais aussi (et surtout) une incitation à sortir de ça zone de confort, une expérience que trop peu de personnes n'osent.